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La tonne de sucre sous les 200 dollars dès 2017 ?

#Actualité
06/07/2016 par Victor Gross
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Alban Oré, analyste chez CommoPrices, nous livre son analyse sur l’évolution du marché du sucre à la fin des quotas sucriers européens.

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Bien qu’étant actuellement considérée par certains comme une véritable pandémie industrielle, la consommation mondiale de sucre ne cesse d’augmenter et les conséquences de cette addiction dans les années qui viennent pourraient être salées !

La fin annoncée des quotas sucriers européens à la rentrée 2017 semble autant être une aubaine pour les industriels européens qu’une menace pour les betteraviers français qui pourraient être les prochaines victimes de la dérégulation du marché.

 

La France sucrière, une puissance mondiale intégrée dans un système européen complexe

La France est le 1er producteur mondial de sucre de betterave avec environ 4,5 millions de tonnes de sucre extraites des racines de cette plante bisannuelle lors de la campagne 2015-2016. Les 34 MT de betteraves sucrières récoltées ont été obtenues grâce à des rendements excellents d’environ 90 T/ha et un rendement à l’extraction de 13T/ha de sucre brut.

Pour la campagne 2015-2016 on dénombrait en France métropolitaine 25 sucreries appartenant à 5 groupes sucriers dont Tereos, 3ème producteur mondial. Cependant, bien qu’étant des poids lourds sur le marché mondial, industriels et planteurs ne sont aujourd’hui pas libres de faire ce qu’ils souhaitent. En effet le marché français du sucre est encadré par la politique sucrière de l’UE qui s’appuie sur 3 outils : la gestion des quotas de production, la fixation d’un prix de référence et d’un prix minimum garanti au producteur et la mise en œuvre de mesures commerciales.

Le prix de référence, fixé par l’UE, est de 404,4 €/T de sucre blanc et 335,2€/T de sucre brut. Les sucriers sont quant à eux tenus de payer aux producteurs au moins 26,29€/T la betterave sucrière destinée aux quotas. Ainsi le prix de la betterave à la tonne est garanti à un niveau supérieur au cours mondial.

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L’industrie sucrière évolue dans une OCM (Organisation Commune de Marché) basée sur des quotas de production par pays et un soutien sur les prix depuis presque 50 ans. Ces quotas sucriers sont appliqués à la production totale de sucre (betterave + canne à sucre). Pour la campagne 2015/2016, la France (métropole + DomTom) disposait du plus gros quota de production parmi les états membres de l’union : 3 437 032 T dont 3 MT pour la métropole. Le quota français représentait alors plus d’un quart du quota européen. L’ensemble de ces règles permet donc de contrôler la quantité de betteraves sucrières et de sucre produit au sein de l’UE.

En 2006 la nécessité pour l’OCM sucre de s’adapter aux nouvelles règles de l’OMC a provoqué une réduction de 30% des quotas de production. Entre les campagnes 2005/2006 et 2009/2010 plus de 40% des sucreries Européennes ont alors été contraintes de fermer leurs portes. A cause du plafonnement des exportations l’UE est alors passée d’une situation d’exportatrice nette à une situation d’importatrice nette, provoquant un déséquilibre du marché.

En janvier 2013, le conseil européen des ministres de l’agriculture a décidé de supprimer les quotas sucriers et les prix garantis de la betterave au le 1er octobre 2017. Cependant ceci ne remettra a priori pas en cause le dispositif interprofessionnel et contractuel actuellement en place pour la filière betteravière.

 Une filière en mutation pour préparer l’après quotas

Anticipant la fin des quotas, le syndicat des betteraviers propose aux planteurs d’essayer de produire plus de racines à moindre coût notamment en optimisant l’utilisation des outils de production sur l’ensemble de la filière. L’allongement de la campagne à 130 jours et la poursuite de l’augmentation des rendements jusqu’à 4% /an - contre 2% actuellement - sont deux des solutions proposées pour y parvenir dans un délai raisonnable. Cette stratégie conquérante doit permettre à la filière betterave sucre d’augmenter sa compétitivité pour tenir le coup après les quotas et permettrait, a priori, d’éviter un scénario semblable à celui de l’industrie laitière.

Les prémices de cette adaptation sont déjà visibles : en 2016 la production française pourrait atteindre 5 MT sous l’effet d’une progression des surfaces (+4%) par rapport à la campagne précédente ainsi que des rendements en betteraves plus élevés. Ces premiers signes confortent l’ambition à l’export de la filière française dans un contexte mondial déficitaire.

De manière plus générale, l’Europe est donc en train de rééquilibrer son marché en prévision de la fin des quotas et les entreprises sucrières européennes confortent encore plus leur statut de leaders mondiaux. Ces dernières ont d’ailleurs besoin d’aborder la fin des quotas avec un niveau de stock raisonnable constitué de sucre domestique et non pas importé.

Après disparition des quotas, le cadre contractuel actuel existant entre associations de planteurs et fabricants demeurera - au moins dans un premier temps - la nécessité de fixer les prix et les quantités au sein de la filière n’étant pas remise en cause. Reste à savoir si les négociations en cours entre les acteurs de la filière française permettront la conservation du système actuel de rémunération : 44% du prix départ usine destiné au planteur et 56% au sucrier. La grande majorité des entreprises prévoient une augmentation de leur production, toutes souhaitant augmenter leur part de marché en Europe et pour certaines sur le marché à l’exportation. Cette volonté de contracter plus de betteraves se traduira en une brusque augmentation des volumes mis sur le marché. La France pourrait ainsi consolider sa place de leader européen à l’exportation avec 1 à 1,5 MT exportées chaque année.

Grâce à son organisation actuelle et l’importance de la filière betteravière, la France pourrait donc être l’un des pays européens les moins touchés. En effet les agriculteurs français sont suffisamment équipés pour augmenter leurs surfaces de betteraves et les sucreries pourraient allonger de 3 semaines par an leurs campagnes ce qui est impossible dans les autres pays. La stratégie de produire plus pour exporter plus a pour objectif de rendre le sucre français plus compétitif sur les marchés - notamment face au sucre de canne - et rendre la rentabilité de sa production moins sensible à la volatilité du marché mondial.

 En route vers un nouvel ordre mondial sur le marché du sucre ?

Actuellement le marché mondial n’est pas très attractif pour les producteurs européens, mais la dévaluation de l’euro vis-à-vis du dollar redonne peu à peu de la compétitivité aux opérateurs européens qui profitent également de la tendance haussière des coûts de production au Brésil, qui restent cependant 30% plus faibles qu’en Europe.

Mais même avec une dévaluation plus importante du dollar, l’exportation vers les états Unis semble présenter seulement un intérêt limité pour les acteurs européens. De plus l’ASA (American Sugar Association) demande actuellement à ce que le sucre soit sorti des négociations dans le cadre du TAFTA, ce qui interdit de penser à une éventuelle exportation vers les USA dans les années qui viennent.

La fin des quotas sur le marché européen aura donc pour conséquence directe la diminution des cours du fait d’un déséquilibre entre offre et demande dans l’UE, une baisse de la demande européenne (importation d’isoglucose) et un plus grand recours aux exportations sur le marché international avec une grande volatilité des prix. Pour permettre aux acteurs de la filière européenne de couvrir leurs positions face aux risques de volatilité des cours, Euronext doit lancer à l’automne 2016 un contrat à terme portant sur le sucre blanc raffiné  (sucre n°5).

De manière générale, plusieurs raisons semblent indiquer qu’une explosion dans les quantités produites va avoir lieu, et le cours du sucre betteravier sur le marché mondial risque de chuter très rapidement. Ainsi pour aborder au mieux cette baisse des cours, une réduction des coûts de production conjointe à l’augmentation des volumes contractés semble inévitable pour l’industrie française et européenne.  

L’augmentation des quantités produites en Europe se répercutera de facto sur le marché mondial. Cependant le marché mondial semble en mesure d’absorber cette production supplémentaire au moins à court terme. En effet il existe depuis plusieurs campagnes un déficit sur le marché mondial du sucre. Celui-ci est évalué à de plus de 3,5 MT pour la campagne 2015-2016. De plus la demande en sucre en Afrique et en Asie du Sud-Est ne cesse de croître. Cette forte demande semble marquer le début d’un cycle et on peut penser que la chute des prix mondiaux dès 2017 soutiendra un peu plus cet accroissement de leur demande annuelle.

Ainsi la production supplémentaire prévue par les sucriers européens sera absorbée par le marché mondial dans un premier temps. Cependant la conséquence d’un tel phénomène sera l’apparition d’une surproduction à plus long terme. A titre d’exemple, l’objectif de production annoncé par Tereos pour la période post-quotas, en augmentation de 20%, représentera environ 0,8 MT, ce qui couvrirait presque 23% du déficit mondial actuel. A ce rythme un excès de production après quelques campagnes est très probable.

Globalement l’arrêt des quotas et des prix de soutien risque fortement d’entrainer un décrochage des cours qui tendront vers le cours actuel mondial du sucre environ 20 fois plus faible que le cours garanti*.

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Le sucre brésilien produit à base de canne à sucre restera le concurrent principal du sucre extrait de la betterave. Aucune nation ne semble aujourd’hui en mesure de concurrencer l’Europe au niveau de la production de betterave sucrière.

On pourra cependant se méfier de l’émergence de la Russie dont la production de sucre est en augmentation depuis quelques campagnes et qui si elle entreprend une innovation technologique majeure pour améliorer ses rendements (actuellement loin des rendements moyens de l’UE 38T/ha vs 80T/ha) pourrait venir bouleverser l’ordre mondial établi actuellement et affecter la compétitivité du sucre français.

La mélasse et la pulpe de betterave, coproduits obtenus après extraction du sucre de la racine sont vendus par les sucriers à des acteurs de l’alimentation animale. Dans le cas d’une augmentation généralisée de la production betteravière, on peut cependant se demander si les canaux de valorisation de ces coproduits seront en mesure d’absorber tout ce stock supplémentaire. Quoiqu’il en soit, l’augmentation des volumes disponibles en mélasse et en pulpe à la fin de la première campagne de l’ère post-quotas entraînera certainement une baisse du cours de la mélasse et de la pulpe de betterave.

Ainsi une chute des cours du sucre, conséquence d’une production européenne en hausse, risque de succéder à la hausse actuelle reflet d’une production mondiale en recul. La France espère pouvoir assoir son statut de leader européen à cette occasion en exportant de plus grands volumes de sucre. Dans cette optique planteurs et sucriers cherchent des solutions pour produire plus tout en réduisant les coûts de production afin de rendre le sucre français plus compétitif sur le marché international. Quoiqu’il en soit, il semble peu probable d’assister à une fragilisation de la compétitivité du sucre de canne par cette production supplémentaire de betteraves en Europe.


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